La publicité ne peut pas agir dans son univers sans tenir compte de la société et de son évolution

Tribunes du CPP

Michel Bonnet, Président du CPP

Selon vous, qu’est-ce que le dispositif français d’autorégulation de la publicité concertée avec la société civile a de plus que d’autres dispositifs d’autorégulation ?

Michel Bonnet : Je lui reconnais trois avantages. Le premier, c’est l’expérience ! Le dispositif français fête ses 85 ans en 2020, la France ayant été l’un des premiers pays à mettre en place cette autorégulation professionnelle de la publicité. Même si certains ont découvert ses mérites plus tardivement que d’autres, les entreprises, les marques, les consommateurs, l’État, les autorités administratives, etc., tout le monde sait que lorsqu’il y un problème concernant la communication commerciale, on va trouver ensemble les bonnes solutions pour y répondre.

Quid du second ?

M.B. : Avec la Commission de concertation [1] puis le Conseil Paritaire de la Publicité [2] , la régulation professionnelle de la publicité a, dès le départ, associé toutes les parties concernées par la communication commerciale. Le système français n’est pas une structure étatique, ni l’émanation de professionnels confinés entre eux, c’est un système ouvert sur la société civile dont le maître mot est « ensemble » : nous construisons ensemble un système qui puisse donner satisfaction à tous.

J’aime bien cette idée de concertation, de participation qui sous-tend l’idée d’un système exigeant et de qualité et se rap-porte bien au Conseil Paritaire de la Publicité. Mettre tout le monde d’accord sur une marche à franchir n’est jamais facile mais c’est la seule manière de procéder, car si quelqu’un franchit tout seul la marche, les autres restent en bas. C’est pourquoi on ne peut laisser un lobby, un groupe de partisans ou de professionnels nous priver de travailler tous ensemble dans un objectif porté collectivement, qui est que la publicité devienne encore plus éthique, c’est-à-dire plus juste, plus équitable, plus respectueuse de tous, à tous les niveaux de la chaîne.

Quel est votre dernier argument ?

M.B. : L’autorégulation professionnelle de la publicité, bien que ce ne soit pas spécifique à ce secteur, est ouverte sur les autres concertations européennes, notamment au sein du réseau de l’Alliance européenne pour l’éthique en publicité (AEEP/EASA). Chaque fois qu’il y a une évolution en Europe, on essaie de suivre ou mieux de participer à cette évolution, voire de l’anticiper. Le CPP peut aussi être informé directement par une branche sectorielle. Cela a été le cas pour les produits cosmétiques, et cela pourrait se reproduire demain avec d’autres secteurs, car les sujets publicitaires se posent et se traitent de plus en plus au niveau mondial.

Le CPP a rendu deux Avis en 2019. Le premier est relatif à la mise à jour du Corpus des Recommandations de l’ARPP au regard de la 10ème version du Code ICC. Que faut-il en retenir ?

M.B. : Si l’on veut un système ouvert sur l’international, il faut qu’il tienne toujours compte de l’évolution des règles. Il est impossible que l’ARPP ne mette pas à jour ses Recommandations au regard des règles contenues dans le Code ICC qui constituent le socle commun des règles déontologiques applicables par plus de 40 systèmes d’autorégulation publicitaire dans le monde. C’est le cadre des règles mondialement acceptées pour des communications commerciales responsables en renforçant l’harmonisation et la cohérence de l’autorégulation applicables à l’échelle mondiale. Certaines Recommandations de l’ARPP font naturellement référence au Code ICC et sont régulièrement révisées pour tenir compte de l’évolution des dispositions de ce Code. Pour illustrer mon propos précédent, dès l’évolution d’une règle internationale ou d’un élément international touchant le commerce, le CPP est amené à vérifier que les Recommandations de l’ARPP sont bien en concordance avec la nouvelle donne. Parfois, les règles françaises ont déjà précédé les évolutions en question, d’autres fois, cela fait ressortir un décalage. À nous de regarder comment faire pour le corriger en mettant en concordance les textes, sans renier nos valeurs. Nos Avis ne sont en aucune manière le fruit d’un consensus mou mais bien le reflet de l’engagement commun !

Le second avis concerne la Recommandation Développement Durable et c’est le troisième Avis du Conseil Paritaire de la Publicité sur cette thématique. Pour quelles raisons, le CPP a-t-il examiné à nouveau cette règle ?

M.B. : Dès le départ, le CPP avait prévenu que nous prendrions le temps de revenir régulièrement sur cette Recommandation essentielle dans la création du nouveau dispositif de régulation professionnelle concertée avec la société civile qui y a associé le CPP. Le CPP a coécrit ce texte en 2009 au lendemain du Grenelle de
l’environnement, à une époque où il y avait été noté beaucoup d’exagération dans la publicité. Le CPP vérifie que la règle est bien respectée et respectable, qu’elle est en concordance avec l’état des avancées scientifiques, des volontés sociétales, des engagements politiques de transition écologique et des données sur l’urgence climatique.

Lorsque nous avons repris la règle pour ce troisième examen, nous avions cette fois en tête qu’un certain nombre d’associations voulaient qu’on aborde la clarification de la Recommandation autour de la notion de consommation responsable, raisonnable, de consommation excessive, etc., quelle que soit la manière dont on la nomme.

Lors de l’Assemblée Générale de l’ARPP qui s’est tenue en juin 2019, on a vu de façon très claire que cette question ne laisse personne indifférent et que c’est une vraie question posée à l’autorégulation publicitaire : doit-on, dans la Recommandation ARPP Développement durable, introduire une norme précise en parlant de surconsommation, ou pas ?

Justement, quelle est la réponse ?

M.B. : C’est une notion extrêmement délicate à manier – quelle est la définition d’un excès ? – et qui appelle des discours discordants. On comprend bien la position des annonceurs qui font de la publi-cité pour faire vendre leurs produits, comme celle des environnementalistes les plus pointus qui attirent notre attention sur le risque pour une société de dépenser plus que ce qu’elle a en termes de ressources.

Il nous a semblé important de faire évoluer notre regard. Cet avis a été élaboré dans le cadre des préoccupations de tous sur la transformation des modes de consommation et l’importance de la lutte contre l’épuisement des ressources et le changement climatique. Nous avons vérifié que l’intention contre le gaspillage était bien mise en avant dans la Recommandation, et elle l’est. Nous sommes également tombés d’accord sur le fait que les sociétés, les producteurs, les marques, etc., avaient intérêt à mettre en valeur cet enjeu de communication responsable parce que ce sera un critère que les consommateurs utiliseront de plus en plus pour choisir leurs produits.

J’ajouterais, à titre personnel que ce que nous venons de vivre, en 2020, avec les deux mois de confinement montre que ce sera un vrai sujet d’actualité pour longtemps.

Si vous ne deviez garder qu’un seul point de cet Avis, ce serait ?

M.B. : Cette notion de consommation excessive. La notion d’excès reste fondamentale. Il est aussi très difficile pour le Jury de Déontologie Publicitaire de savoir où placer le curseur quand le sujet de la surconsommation est évoqué dans les plaintes. On ne peut pas la définir de façon précise, ce qui ne signifie pas pour autant que ce serait secondaire par rapport à d’autres projets. C’est un vrai sujet de concertation au sein de l’ARPP.

Nos visions ne sont pas identiques, mais on est bien là au cœur du sujet, il faut mettre les mots qui le définissent le mieux. Si on se met tous à consommer avec excès, la planète ne le supportera pas. En même temps, l’excès est une notion très subjective dont aucun de nous ne doit être le curseur sous peine de devenir un dictateur.

Quatre nouveaux membres ont rejoint le CPP en 2019, dont trois femmes – Isabelle Petit, Caroline Darmon et Morgane Lenain – est-ce l’effet d’une volonté ou du hasard ?

M.B. : C’est dû au hasard dans un premier temps. Ce n’est pas le fruit d’une volonté affirmée qui consisterait à dire « les trois prochains candidats seront une femme (ou un homme) de façon à ce qu’il y ait une parité », mais plutôt qu’il est important d’être dans un équilibre femme et homme, indispensable au dialogue sociétal. Lorsqu’on a pour objectif de proposer des règles qui font évoluer les choses, il faut pouvoir recueillir toutes les opinions, des femmes, des hommes, des jeunes, des seniors, des riches, des pauvres, des cadres, des ouvriers, des gens de province, etc.

Si on regarde la composition du CPP, il ne semble pas y avoir beaucoup de provinciaux parmi les membres.

M.B. : Nous sommes cinq et c’est l’une des pistes sur laquelle nous réfléchissons. Une ou deux personnes de plus habitant en province seraient utiles pour que la réflexion ne soit pas trop « parisienne ».

Vous êtes associé à l’analyse des publicités dans le cadre du bilan d’application de la Recommandation ARPP Comportements alimentaires, la publicité peut-elle changer les comportements ? 

M.B. : La publicité n’a pas vocation à être seulement éducative et donc à changer les comportements des humains dans une société. Mais il serait fou ou illusoire de croire qu’elle n’a aucun impact sur les comportements. Elle participe, à sa façon, à les faire évoluer dans la vie quotidienne. Par exemple dans les années 1960, la publicité a contribué à démocratiser l’usage des appareils ménagers au sein du foyer.

Depuis 2003, les professionnels se sont engagés pour favoriser les bons comportements alimentaires et l’activité physique, en adoptant des règles spécifiques de
bons comportements dans la Recommandation Comportements Alimentaires [3]  mais, également en signant en 2009 la première version de la Charte dite Charte Alimentaire [4] .

On sait bien que la publicité ne peut pas, à elle seule, être responsable de l’évolution des comportements alimentaires car cela passe aussi par l’éducation, la formation
et l’information de la population, en commençant par la vie familiale et l’école, puisqu’il s’agit notamment de lutter contre l’obésité précoce chez les enfants. Toutefois, et cela fait partie des éléments constructifs, les études montrent, depuis une dizaine d’années, que les messages sanitaires ont été entendus. Ce qui ne veut pas dire, pour autant, qu’ils sont appliqués. Dans un autre domaine, chacun sait que fumer tue et pourtant tout le monde n’arrête pas de fumer !

Il est prévu que la Recommandation ARPP Comportements alimentaires soit revue en 2020, dans quel sens ?

M.B. : Nous sommes confrontés à deux sortes d’interrogation. Une partie de la règle relève de la consommation des produits dans une situation d’alimentation équilibrée. L’autre est plus complexe : faut-il ou non continuer de dire de façon stricte qu’il ne faut pas manger devant un écran alors qu’ils sont omniprésents dans notre vie et qu’ils ne sont plus utilisés exclusivement de manière passive ? Dans le contexte actuel et le confinement, nous l’avons encore plus constaté, l’écran est le moyen de communication qui permet de garder des liens avec ses proches, sa famille éloignée, voire de partager à distance des repas avec ces derniers et d’échanger avec eux au cours de ce repas et pas seulement de regarder un film ou un programme.

De même, faut-il privilégier les repas assis et à heure fixe dans une société où tout le monde n’a pas les moyens de manger ainsi dans la vie quotidienne réelle… ? La publicité ne peut pas agir dans son univers sans tenir compte de la société et de son évolution et lorsque la société va plus vite que la publicité, elle ne peut rester hors champ, afin que les personnes se sentent concernées par les messages.

Est-il possible de faire évoluer des règles sans pour autant remettre en cause la santé publique ? Là, sont indiscutablement les enjeux du travail à venir…

Quels sont les thèmes portés par les différents groupes de travail en 2020 ?

M.B. : En dehors du groupe de travail sur les comportements alimentaires, nous continuons à travailler sur la publicité touristique et sur la Pédagogie et la communication autour des avis et du travail du CPP.

Nous avons pris du retard pour le premier dans la mesure où les travaux relatifs à la Recommandation Développement durable ont nécessité de nombreux échanges.
Mais, ce n’est pas la seule raison. Nous souhaitions surtout entendre toutes les personnes concernées par le sujet qui voulaient exprimer leurs attentes or le secteur est étendu et comprend de nombreux acteurs (voyage, tourisme, hôtellerie, …) ; nous ne voulions négliger aucune attente.

Notre groupe de travail sur la Pédagogie et la communication autour des avis etdu travail du CPP, n’a pas vocation à déboucher sur un avis du CPP mais sur des outils et des actions de pédagogie et de communication. Le travail mené est important et exigeant et il doit associer tous les membres de l’instance.

2020 est l’année du renouvellement des mandats de tous les membres dont celui du Président. Avez-vous l’intention de vous présenter à nouveau et si oui, qu’est-ce qui vous motive ?

M.B. : Oui, j’ai l’intention de me représenter car le travail n’est pas terminé et je pense que je peux encore apporter ma pierre à l’édifice. J’ai la forte conviction que le Conseil Paritaire de la Publicité est une instance importante dans notre vie sociale et économique, qui doit servir de modèle à d’autres et donc je n’ai pas envie de quitter le navire. Le CPP ne fait pas partie de ces instances qui ont un rôle consultatif sur des changements que l’on ne voit jamais venir. Nos avis sont suivis par le Conseil d’administration de l’ARPP dans un système de co-construction des règles déontologiques. Ils ont pour but d’essayer de rendre la société plus
humaine et plus équitable et c’est ce que je souhaite. Mais la présidence du Conseil Paritaire de la Publicité n’est pas un poste à vie, je suis prêt à laisser ma place à quelqu’un qui aurait une énergie décuplée pour amener le CPP encore plus loin.

Paris, le 2 novembre 2020.

[1]

Mise en place au début des années 1980, cette commission était composée des professionnels et des associations agréées de consommateurs.

[2]

Depuis 2008.

[3]

La Recommandation ARPP Comportements alimentaires a vu le jour en juin 2004. Elle a été actualisée en 2017 et il est prévu qu’elle le soit à nouveau en 2020. Elle a pour but de promouvoir des communications responsables quant aux bons comportements alimentaires (alimentation équilibrée, non excessive, associés à une bonne hygiène de vie…) suivant les recommandations des professionnels de santé et des pouvoirs publics (Programme National Nutrition Santé).

[4]

Signée pour la première fois en 2009.