La réflexion du CPP sur la sexualisation précoce des enfants dans la publicité, qui a fait l’objet d’un Avis publié le 16 avril 2013, s’est prolongée sur l’utilisation dans la publicité des stéréotypes sexuels, sexistes et sexués.
Le CPP a, en effet, souhaité s’y intéresser pour réfléchir à la nécessité ou pas de demander à la profession de se doter de nouvelles règles dans ce domaine.
Le CPP a, au cours de ses travaux, noté qu’un amalgame était fait entre les stéréotypes sexuels, sexistes et sexués.
C’est pour cela qu’il a décidé d’approfondir ces notions avant de communiquer sa position sur le sujet.
I- Analyses et constats
A – Les notions de stéréotypes sexuels, sexistes et sexués
Un « stéréotype » est un cliché obtenu par stéréotypie, c’est-à-dire par la répétition d’attitudes, d’actes, de gestes, de paroles …
A l’origine le mot désignait une image ou une idée construite par un individu ou un groupe social qui correspondait à une réalité et présentait un caractère persistant. Les stéréotypes permettaient de se différencier, se démarquer, se rassembler, etc.
Aujourd’hui, ce terme « stéréotype » est souvent employé avec un sens péjoratif ou négatif. Il peut-être considéré comme mettant en avant une image ou une idée réductrice ou simpliste dite « économe de réflexion« , basée sur des a priori, pouvant naître d’une catégorisation, d’idées colportées, d’une éducation … le risque étant d’être jugé à travers un stéréotype et non en raison de ses actes, de ses pensées.
Pourtant, un stéréotype en soi n’est pas négatif, s’il est neutre ou positif et/ou clairement dénoncé.
La notion de « stéréotype » est délicate à manier car elle est fondée sur les habitudes, les comportements réels et les valeurs d’un groupe. C’est pour cela que, souvent, pour éviter toute ambiguïté et subjectivité, le terme est accompagné d’un qualificatif : dégradant, dévalorisant, discriminant…
Le stéréotype sexuel
Le stéréotype sexuel a généralement un sens négatif dans la mesure où il vise des représentations de stéréotypes fondés sur le sexe qui sont dégradantes pour l’un des deux sexes. C’est ce que l’on utilise quand on présente le corps d’une femme nue pour mettre en valeur un produit ou un service dont la nudité n’a aucun lien avec ce produit ou ce service.
Le stéréotype sexiste
Le terme « sexisme » est défini par le dictionnaire Le Robert comme une « attitude de discrimination fondée sur le sexe ».
Le stéréotype sexué
Le stéréotype sexué – parfois aussi appelé stéréotype de genre – met en scène des représentations d’hommes ou de femmes en évoquant leur différence, mais sans suggérer une discrimination d’un sexe par rapport à l’autre ou une inégalité de traitement ou de droit en raison du sexe. En effet, la communication pour toucher son audience est le plus souvent sexuée dans la mesure où elle vise forcément une catégorie de personnes, la cible du message, qui est elle-même souvent le reflet de la population des acheteurs du produit ou du service. De plus, certains produits sont intrinsèquement réservés aux femmes (hygiène féminine…)
Les publicités sont donc souvent sexuées sans être problématiques.
Cependant, le stéréotype sexué peut devenir dégradant. Généralement c’est le moment où on va le considérer comme sexiste : c’est la femme qui est présentée comme systématiquement debout dans la cuisine et en même temps l’homme systématiquement assis dans son fauteuil lisant le journal.
Néanmoins, la présentation d’une femme dans une publicité en faveur d’un produit d’entretien ne signifie pas d’emblée qu’il s’agit d’un domaine réservé au sexe féminin et ne peut être perçue d’emblée comme préjudiciable alors qu’aucun élément de la publicité ne suggère que seule la femme peut s’atteler à cette tâche.
En l’état, le CPP s’est d’abord intéressé aux règles déontologiques existantes afin de savoir si elles étaient suffisantes pour lutter contre les stéréotypes sexuels, sexistes.
Dans un deuxième temps, la réflexion a porté sur les stéréotypes sexués :
La régulation professionnelle concertée de la publicité doit-elle participer à une action plus forte de valorisation éducative en faveur d’une plus grande égalité des femmes et des hommes ?
La publicité a-t-elle vocation à éduquer les citoyens et à faire changer la société ?
Quel impact et comment serait perçue une publicité qui favoriserait quotidiennement un modèle de société qui serait très éloignée de la société réelle ?
B- Le point sur les règles déontologiques existantes sanctionnant les stéréotypes dégradants
Le CPP constate que, depuis que la régulation professionnelle de la publicité existe et, au moins depuis 1975 pour le sujet, avec la création de la Recommandation « Image de la femme dans la publicité », elle a cherché à désigner puis faire disparaître les stéréotypes dégradants.
La Recommandation actuelle de l’ARPP Image de la Personne Humaine consacre un paragraphe entier relatif aux stéréotypes sexuels qui prévoit, notamment, que :
« La publicité ne doit pas réduire la personne humaine et en particulier la femme à la fonction d’objet. »
» La publicité ne doit pas cautionner l’idée d’infériorité d’une personne en raison de son appartenance à un groupe social, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société. »
» L’expression de stéréotypes, évoquant les caractères censés être représentatifs d’un groupe social, ethnique, etc. doit tout particulièrement respecter les principes évoqués dans la présente Recommandation (respect de la dignité, de la décence, pas de stéréotypes négatifs, pas de soumission, de dépendance, de violence…). »
Au niveau international, le Code consolidé de la Chambre de Commerce Internationale révisé en 2011 (ICC), Article 4/ Responsabilité sociale précise que :
« La communication commerciale doit respecter la dignité humaine et ne doit encourager ou cautionner aucune forme de discrimination, y compris fondée sur la race, l’origine nationale, la religion, le sexe, l’âge, le handicap ou l’orientation sexuelle. »
Le Conseil note, également, que les règles déontologiques ont permis de mettre en place une lutte efficace contre les stéréotypes qui nuisent gravement aux individus. Chaque année, depuis dix ans, le bilan d’application de la Recommandation Image de la personne humaine, présenté aux pouvoirs publics, permet de mesurer la façon dont les règles sont appliquées et mises en œuvre et, en cas de manquement à la règle, permet de procéder à des rappels pédagogiques pour améliorer encore le dispositif.
De plus, le Jury de Déontologie Publicitaire, instance associée de l’ARPP, traite des plaintes relatives aux manquements à ces règles déontologiques.
Le corpus des règles déontologiques existantes précitées, complété par l’encadrement réglementaire existant en France paraît, dès lors, suffisamment complet pour prévenir et sanctionner la représentation de stéréotypes sexuels et sexistes.
Pour autant, la régulation professionnelle de la publicité doit-elle aller plus loin ? Dans quel but ? Comment ? C’est la réflexion qui a été menée par le CPP dans un deuxième temps s’agissant des stéréotypes sexués.
C- Publicité, stéréotypes sexués et évolution de la société
En premier lieu, le CPP relève que, pour qu’elle ait du sens – qu’elle soit efficace – la publicité a vocation à s’adresser à une ou plusieurs cibles identifiées et doit s’appuyer sur des comportements et des représentations sociales, dominants ou pas, et que l’on peut appeler stéréotypes.
Or, la publicité, par essence même, cherche à promouvoir un produit, un service, une marque… auprès d’une cible parfaitement identifiée. A ce titre, la publicité peut viser les femmes, les hommes ou les êtres humains en général.
De même, elle peut s’adresser à des jeunes ou des plus âgés, à des urbains ou des ruraux et, dans la cible, on peut aller jusqu’à des niches : les hommes ruraux collectionneurs de timbres du troisième empire français … S’adresser à un public différent serait alors en contradiction avec l’objet même de la publicité qui est de vendre un produit ou un service.
En cela, la publicité se construit sur des représentations sociétales. Son efficacité se fonde en s’adressant à des publics identifiés : clients, prospects, leaders d’opinion, femmes ou hommes, etc.
Comme le souligne le Rapport de 2001 remis à la Secrétaire d’Etat aux Droits des femmes et à la Formation professionnelle « L’image des femmes dans la publicité [1] , la publicité n’est pas de la morale : « Publicité et morale : rien à voir entre elles sans doute car la publicité est là pour faire vendre un produit et non pour faire la morale », « La publicité ne crée pas le mouvement social, elle s’en fait l’écho ».
En second lieu, le CPP constate que la publicité participe à la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes en empêchant de véhiculer des images non responsables, dégradantes. En effet, la régulation professionnelle de la publicité impose de ne pas donner, de manière explicite ou même de ne pas induire, une idée d’infériorité d’un sexe par rapport à l’autre, de ne pas présenter la femme ou l’homme comme un objet, c’est-à-dire lorsque le lien entre le produit ou le service et le personnage féminin ou masculin n’existe pas, de ne pas le présenter comme objet sexuel ou de soumission, de ne pas porter atteinte à sa dignité.
Peut-elle aller plus loin en réalisant une promotion encore plus proactive de l’égalité des femmes et des hommes ?
Le CPP estime qu’il n’est pas possible de l’encourager de manière globale et collective par la mise en place de règles déontologiques.
En effet :
- Les contenus des messages publicitaires, par nature, n’ont pas vocation à faire la promotion de telle ou telle cause quelle qu’elle soit, ni à intervenir sur les libertés individuelles, ni à faire changer la société ou encore à prôner des modèles sociétaux divers en permanente évolution.
- De plus, dans le cas de la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes, elle est parfois difficilement conciliable avec la fonction de la publicité qui est de toucher un public particulier qui se définit par rapport au produit ou service promu.
- Enfin, s’il s’agit d’analyser la production publicitaire dans son ensemble, d’un point de vue opérationnel, il paraît impossible d’organiser de manière collective au sein de l’interprofession publicitaire la mise en place d’indicateurs, de quotas qualitatifs et quantitatifs permettant d’évaluer les places respectives de la femme et de l’homme dans les communications. En effet, il existe aujourd’hui en France plus de 20 000 annonceurs qui communiquent sur plusieurs milliers de supports médias chaque année.
De plus, comment arbitrer demain entre ces différents annonceurs et messages, et imposer à chacun des acteurs tel ou tel nombre de représentations féminines ou masculines ?
Le CPP invite les professionnels de la publicité, dans le cadre d’une démarche individuelle d’entreprise, à faire un diagnostic de leurs campagnes publicitaires, et à s’interroger sur la question de l’égalité des femmes et des hommes dans leurs messages.
II – Position dégagée par le CPP
Les membres du CPP mesurent l’importance du sujet et la portée sociétale de l’action à mener pour l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes. Il s’agit bien d’enjeux capitaux pour le devenir de notre société et, la publicité, dans le cadre de ses attributions, a un rôle à jouer.
Pour ce faire :
1. Le CPP estime que les règles actuelles sur les stéréotypes, contenues, plus particulièrement, dans la Recommandation « Image de la personne humaine » permettent de réguler la publicité dans le respect de chacun.
Il rappelle que ces règles déontologiques permettent de lutter, dans les publicités, contre les inégalités dégradantes pour les femmes et pour les hommes, la publicité ne devant pas véhiculer des stéréotypes négatifs et notamment des stéréotypes qui seraient dévalorisants ou porteraient atteinte à la dignité des femmes, des hommes et des enfants.
Les bilans annuels d’application de ces règles permettent, en outre, d’observer que l’évolution du traitement publicitaire de l’image de la personne prend en compte les évolutions de sensibilité du corps social.
Dans ce cadre, le CPP encourage cette démarche de progrès continu et appelle tous les acteurs professionnels à la vigilance pour continuer à lutter contre les stéréotypes dévalorisants, dégradants et inégalitaires qui portent atteinte à la dignité des enfants, des femmes et des hommes.
2. Le CPP ne préconise pas l’adoption de nouvelles règles déontologiques, le rôle de la régulation professionnelle de la publicité n’étant ni de fixer les contours ni de favoriser les modèles sociétaux au travers de recommandations créant des obligations positives qualitatives ou quantitatives.
Néanmoins, le CPP encourage les entreprises dans le cadre d’une démarche stratégique volontaire et individuelle, éventuellement en lien avec leur politique de responsabilité sociale et environnementale, à faire le choix d’une promotion plus proactive de l’égalité entre les femmes et les hommes, dans leur communication.
Téléchargez l’Avis :
Avis Publicité et stéréotypes sexuels, sexistes et sexués
Avis publié le 8 avril 2014