La déontologie, c’est aller vers le mieux .

Le Président du Conseil Paritaire de la Publicité depuis sa création en 2008 résume l’année 2018 et donne ses impressions sur l’évolution du CPP depuis 10 ans et le chemin qu’il reste à parcourir.

(Extrait du rapport d’activité 2018 de l'ARPP)

Tribunes du CPP

Comment définissez-vous le CPP ? 

Michel Bonnet : Le Conseil Paritaire de la Publicité est un moyen d’éclairer l’autorégulation, de la renforcer en répondant aux attentes et aux préoccupations des parties prenantes. Cette instance de concertation donne des moyens aux associations d’exercer leur contrôle sur les activités publicitaires, ainsi qu’une meilleure appréhension du rôle économique de la publicité et de son engagement de responsabilité sociale. Pas à pas, en pratiquant l’écoute de l’autre et le respect, professionnels de la communication (annonceurs, agences et médias) et associations (de consommateurs, familiales, sociétales et environnementales) participent à construire des améliorations parfois peu théâtrales mais bien réelles, pas dogmatiques mais pragmatiques.

Vous présidez le CPP depuis 10 ans. Quelle(s) évolution(s) avez-vous constaté durant ces dix années ? 

M.B. : Le CPP a, me semble-t-il, bouclé un cycle. Durant nos dix premières années, notre travail a été simple à faire, parce que nous étions à la fois attendus et encouragés à nous pencher sur des sujets qui allaient de soi : le développement durable, les jeux d’argent, les produits alimentaires, les produits cosmétiques, etc. C’étaient des sujets faciles car même les professionnels de ces branches attendaient des règles déontologiques, les souhaitaient pour améliorer leur image, leur fonctionnement, et la société civile nous poussait en nous disant : « C’est votre mission, allez-y !».

Maintenant, nous arrivons à un moment très intéressant parce que la société elle-même vit une forme de crise dont le mot clef est la confiance.

Cette crise de confiance touche bien sûr les politiques, mais aussi les élites, les religions, la famille, les marques, les entreprises, la société. Le doute plane autour du réchauffement climatique, de la pollution, du bio, de la qualité alimentaire, de l’obsolescence programmée, des écrans, des formations, des diplômes, de la santé, de la sécurité… Or, on peut mesurer depuis plusieurs années que, lorsque la confiance se brise, quelles qu’en soient les raisons, il faut trois fois plus de temps pour la reconstruire qu’il n’en a fallu pour la détruire.

Ces problèmes ne sont pas forcément liés à la publicité ! 

M.B. : C’est exact, ces problèmes peuvent être liés au marketing ou à la consommation en général. Mais, le public, lui, n’opère pas de tri entre publicité, marketing et consommation et quand la confiance touche, par exemple, le produit alimentaire, cela retombe sur l’ensemble de la chaîne et pas uniquement sur un agriculteur, un industriel ou un commerçant.

Or, nous avons connu plusieurs crises alimentaires, des crises concernant les prix – encore actuellement il semblerait que les grandes surfaces n’aient pas respecté l’esprit de la loi dite « Agriculture et alimentation [1] » – et aussi régulièrement des crises qui tiennent à la santé publique, avec en particulier depuis deux ans, tout ce qui touche aux pesticides et résidus de pesticides que l’on retrouve dans notre alimentation, dans notre corps, dans notre vie… Bref, les crises de confiance sont bien réelles et la publicité n’est que l’un des aspects professionnels qui reçoit en contrepartie une espèce d’opprobre.

En quoi ces crises de confiance ont-elles une influence sur le travail du CPP ? 

M.B. : Nous sommes vraiment au cœur de ce problème, puisque le Conseil Paritaire de la Publicité est le lieu où les professionnels de la communication commerciale et les représentants de la société civile – donc les acteurs de la consommation, de la famille, de l’environnement, de l’égalité, de la société – se retrouvent autour d’une table pour tenter de trouver des solutions pour se donner des outils de (re)construction de la confiance. Car on ne reconstruit pas la confiance, qui ne revient pas facilement, mais des outils qui peuvent aider à la reconstruire. Une règle déontologique c’est juste un outil, ce n’est pas un aboutissement merveilleux où à la fin tout le monde se lève pour applaudir. Moins il y a de dysfonctionnements dans l’application de cet outil, plus la confiance peu commencer à renaître. Dès qu’il y a un dysfonctionnement, tout s’écroule, il faut tout recommencer.

Cela signifie-t-il qu’il faut changer les règles quand il y a un dysfonctionnement ? 

M.B. : Pas forcément, mais il faut néanmoins tout remettre d’équerre parce que le dysfonctionnement a obéré la confiance. Même si celle-ci n’a été trahie que par une seule marque, une seule entreprise même peu ou pas du tout connue, le désaveu, qu’on le veuille ou non, retombe sur tout le monde y compris sur les associatifs qui ont participé à établir la règle déontologique.

Au bout de 10 ans, gardez-vous la même envie de faire reconnaître le travail du CPP ? 

M.B. : Mon envie est intacte. Nous avons prouvé ces dix dernières années qu’au sein de notre groupe disparate, avec la multiplicité des points de vue, avec nos vies, nos activités et nos engagements différents nous pouvions agir de concert pour améliorer l’autorégulation publicitaire, c’est vraiment motivant ! Mais aussi sympathique soit-il, le chemin est loin d’être terminé même si la plupart des marques ont une communication éthique. Et c’est parce que j’ai cette impression que les prochaines années seront plus difficiles qu’au démarrage du CPP et qu’il va falloir redoubler d’efforts, que je désire continuer le travail stimulant et enrichissant que nous y faisons.Tous les membres du CPP mesurent cette difficulté parce qu’aujourd’hui, à chaque fois que nous ouvrons un nouveau dossier, nous nous apercevons que les auditions sont plus rudes, au sens où chacun a des positions qu’il essaie de défendre.

Un exemple ? 

M.B. : Si je suis une marque, j’essaie de verrouiller ma sécurité, ce qui est compréhensible. Si je suis une association, j’essaie d’aller plus loin, car sinon les
adhérents n’ont plus confiance dans leurs représentants. Tout le monde est pris dans ce piège qui exige que nous soyons encore plus dans le dialogue paritaire afin de coconstruire ces outils dont je parlais précédemment.

Que mettez-vous dans ce terme de co-construction ? 

M.B. : Le CPP est saisi par le Conseil d’Administration de l’ARPP, dans le cadre de sa mission principale d’écoute et d’examen des attentes des parties prenantes avant l’élaboration ou l’actualisation de toute règle déontologique. Il faut que tous les gens autour de la table se sentent capables de défendre cette règle. Si je suis le seul à défendre une règle, elle ne marchera jamais. S’il n’y a que les professionnels qui la défendent, elle ne marchera jamais. Il faut que tout le monde ait envie de la défendre parce qu’à ce moment-là, tout le monde aura peut-être envie de l’appliquer et on aura un embryon de confiance qui reviendra dans un cercle vertueux, permettant d’avancer collectivement.

Quels sont les sujets qui ont été particulièrement difficiles en 2018 ? 

M.B. : Tous les sujets peuvent être complexes à traiter car ils sont pointus. Mais, le sujet qui demeure particulièrement difficile à finaliser ne porte pas sur une règle déontologique, c’est celui de la communication du CPP. C’est un sujet lié au thème de la confiance. La France s’est dotée d’un système que je ne qualifierais pas d’unique au monde car il faut toujours rester modeste – même s’il est unique en Europe –, mais, en tout cas, d’un système positif, constructif et collaboratif différent de ceux qui ont choisi la loi ou le marché. Pour autant, on s’aperçoit que très peu de gens connaissent le système de l’autorégulation professionnelle de la publicité et encore moins le rôle du CPP. Quand on interroge un citoyen ou une citoyenne mécontent parce qu’il a vu une publicité qui ne lui plaît pas, la plupart du temps, il ne sait pas qu’il y a une autorité de régulation, un Jury, un Conseil Paritaire de la Publicité, des règles déontologiques et son premier réflexe, c’est de dire « Ils font n’importe quoi ! ». Or, on le voit de façon très nette, ceux qui râlent le plus fort sont ceux qui ne connaissent pas le système. Nous, nous ne sommes pas des défenseurs d’un système en disant qu’il est merveilleux mais nous pensons qu’il peut démontrer son efficacité et qu’il sera de mieux en mieux car nous déployons tous nos efforts pour l’améliorer au fur et à mesure. Nous voudrions au minimum que les gens comprennent que ce système existe et que l’on peut l’encourager et l’orienter.

De quelle manière ? 

M.B. : Par exemple, quand des consommateurs, des associations, etc., saisissent le Jury de Déontologie Publicitaire, ils influencent le système car au bout du compte, cela fait réfléchir l’institution et permet de faire ressortir les brèches éventuelles d’une communication qui n’est plus responsable. Quand, au sein du CPP, nous ouvrons un groupe de travail comme celui sur les boissons rafraîchissantes sans alcool, nous nous lançons sur un sujet que nous connaissons très peu. Nous faisons donc appel à des spécialistes, des experts, des associatifs qui viennent nous l’expliquer et, de ce fait, nous aident à mettre le doigt sur des améliorations potentielles d’une règle déontologique pour que la profession et ses liens avec les consommateurs-citoyens s’améliorent.

De même, en 2018, pour faire évoluer la Recommandation sur les produits cosmétiques, nous avons fait appel à des experts au service exclusivement des consommateurs et de leurs associations qui nous ont expliqué les tests qu’ils faisaient sur les produits et comment ils construisaient leurs enquêtes. Ils ont pointé du doigt deux ou trois domaines où notre attention devait se porter plus particulièrement, soit parce qu’il y avait une imprécision dans la règle, soit de mauvaises pratiques, soit des risques potentiels.

En l’occurrence, c’était la troisième fois que je travaillais sur cette Recommandation, mais d’autres membres du CPP, plus novices sur le sujet, ont été éclairés par des experts grâce aux auditions que nous réalisons. « Novices » ou pas, nous réfléchissons à comment on peut améliorer la règle. Le CPP ne rédige pas la règle éthique, mais les professionnels s’emparent de son Avis pour écrire la règle. Notre rôle consiste à indiquer des pistes, lesquelles nous semblent après audition des professionnels et des associations de nature à améliorer cette règle déontologique.

Comment faire mieux connaître ce travail du CPP ?

M.B. : Les Avis du CPP sont publiés et font l’objet d’un communiqué de presse mais on s’aperçoit qu’au niveau des associations, des consommateurs, des ministères, des créatifs…, nous rencontrons des difficultés sur les actions de communication et de pédagogie des règles et des Avis du CPP. Personne ne se rend compte du travail qu’il y a derrière chaque Avis du Conseil pour faire progresser la règle. De même l’utilisateur des produits ou des services voudrait bien savoir si on a amélioré quelque chose. Par exemple, dans les produits cosmétiques, quand on dit « sans paraben », est-ce que cela signifie qu’il y en avait avant et qu’il n’y en a plus maintenant, est-ce qu’on l’a remplacé par un autre produit encore pire pour la santé, etc. ? Toute cette information, on l’a travaillée, on l’a intégrée dans le nouvel Avis et cette nouvelle règle va permettre de franchir une marche de plus dans l’amélioration de la Recommandation et dans la démarche de qualité des publicités. On sait – et on en est tous conscients – que dans deux ans, dans trois ans…, on reviendra sur cette règle, car les comportements, les produits, les questions d’acceptabilité, etc. changent. La société évolue rapidement et nous devons nous adapter en permanence dans la mesure où une Recommandation sur les produits cosmétiques, sur les produits alimentaires, sur le développement durable, etc., c’est une règle fondamentale d’une société qui essaie de s’autoréguler et d’améliorer son comportement pour le bien de tous.

Les interventions du CPP tiennent aussi souvent à des engagements internationaux !

M.B. : Effectivement, le moteur initial de l’évolution d’une règle déontologique est souvent le besoin d’intégrer un engagement pris au niveau européen. Mais, quoiqu’il en soit, le CPP décide, à chaque fois, de regarder l’ensemble du champ d’action pour voir si à cette occasion, on ne peut pas aller plus loin dans l’un des domaines concernés. Parce qu’une règle déontologique qui se contenterait d’intégrer simplement des engagements européens ou mondiaux finirait par
ressembler à une loi qui ne stimulerait pas à aller plus loin. La déontologie, ce n’est pas s’arrêter à une loi ou à des règles internationales, c’est stimuler
le champ professionnel pour proposer au consommateur-citoyen et aux entreprises, une véritable amélioration. La déontologie, c’est aller vers le mieux, ce n’est pas juste respecter la loi !

Comme vous l’avez rappelé, le CPP publie son Avis puis les professionnels rédigent la règle. En dix ans, y-a-t-il des sujets sur lesquels l’Avis du CPP n’a pas été suivi ? 

M.B. : Notre Avis par définition n’est que consultatif mais il permet de faire avancer la régulation publicitaire. Il est soumis aux professionnels qui écrivent la règle au regard des préconisations et des attentes contenues dans l’Avis et viennent ensuite nous la présenter. Mais, nous n’avons pas à donner notre opinion sur la façon dont ils ont utilisé notre Avis pour écrire la règle, ce qui est important c’est que nos préoccupations soient prises en compte. S’ils ne suivaient pas tel ou tel point, ils devraient s’en expliquer.

On peut donc dire que nous sommes plutôt écoutés. A tel point que l’on pourrait même parfois nous reprocher de ne pas aller assez loin, puisque nous sommes si écoutés. Mais aller plus loin, c’est arriver à y aller tous ensemble. Et si les professionnels ont repris notre Avis dans l’écriture de la règle, cela signifie que tout le monde a été d’accord pour franchir ensemble ce pas essentiel. À ce moment-là seulement la règle a des chances d’être appliquée.

Vous parliez du déficit de connaissance sur le travail du CPP, mais c’est difficile de faire connaître ce travail puisque les auditions ne sont pas publiques ! 

M.B. : Je suis persuadé que la reconstruction de la confiance passera aussi par une meilleure communication de la nature des travaux qui sont faits. Certes, on ne peut pas communiquer sur le fait que nous avons auditionné untel et untel en citant des noms de personnes pour parler du travail réalisé sur un sujet. Certes, nous ne pouvons pas donner le détail des auditions, mais nous pouvons quand même dire, ce qui est le cas en 2019, que nous sommes interrogés sur les questions d’environnement – qui a été le premier sujet traité par le CPP à sa création et sur lesquels nous nous penchons régulièrement – et que nous ne sommes pas seuls. Nous faisons ce travail avec l’ADEME, avec des experts, des associatifs, des scientifiques, des universitaires, etc., chacun venant nous apporter son point de vue. Nous étudions si la règle se doit d’être amendée, améliorée, précisée et nous voyons bien qu’il y a une vraie réflexion à avoir sur la thématique du
« développement durable ». Ne faudrait-il pas – devant l’urgence climatique, par exemple – intégrer d’autres éléments dans la règle pour aller plus loin, même si cela paraît difficile car la publicité ne peut pas tout porter ? La question mérite d’être posée car s’il y a parfois, face à des situations données, des mesures qui ne sont peut-être pas faciles à prendre, il vaut mieux les prendre soi-même librement plutôt que de se les voir imposer un peu plus tard dans des conditions que l’on ne maitrise pas.

Outre l’environnement, quels sont les sujets qui vont mobiliser le CPP en 2019 ?

M.B. : Nous restons mobilisés sur les actions à déployer pour mieux communiquer sur le CPP et donc nous poursuivons notre groupe de travail sur la communication des Avis du Conseil. Il y a aussi un sujet relatif à la publicité touristique, à la demande du Conseil de l’Éthique Publicitaire suite à l’Avis qu’il a rendu sur le sujet dont un des auteurs de l’Avis est le médiateur du tourisme et du voyage Jean-Pierre Teyssier.

Enfin, il est probable que nous retravaillerons en 2019 sur la Recommandation Comportements alimentaires.

En 2018, le CPP a également intégré de nouveaux membres…

M.B. : Nous avons accueilli quatre nouveaux membres. Nous avons été rejoints par Isabelle Petit (Responsable des études et outils radio de M6 Publicité) pour représenter le media radio et par Michel Bestougeff, (Directeur Général Adjoint Marketing de Talent Group [Médiavision]) pour représenter le média cinéma.

Du côté des associations, sont arrivés Patrick Boquet, Secrétaire Général de l’Association de défense, d’éducation et d’information du consommateur (ADEIC), et Catherine Buch-Faure, Manager Communication Grand Public du Comité ONU Femmes France et Manager Marketing, Marque et Communication Femix’Sports.

Paris, le 28 juin 2019

[1]

Cette Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous a été publiée au JO le 1er novembre 2018 cf. l’article de 20 Minutes sur les déclarations du ministre de l’agriculture, Didier Guillaume : https://www.20minutes.fr/societe/2495227-20190412-loi-alimentation-compte-reconnait-ministre-agriculture-didier-guillaume