Entretien avec le président du CPP, Michel Bonnet

Tribunes du CPP

Mercredi 1er juin, à l’Assemblée générale de l’ARPP, le Président du CPP présentera le Bilan 2015 de l’activité de l’Instance. Découvrez, dès à présent, l’Entretien avec le Président.

Michel Bonnet, Président du CPP, fait le point sur une année bien occupée sur la Revue de direction des règles de l’ARPP et la publication de trois avis.

Si vous deviez définir le Conseil Paritaire de la publicité …

Entretien_Pdt_CPP1Michel Bonnet : C’est une instance associée à l’ARPP qui a la particularité d’être une instance paritaire, la moitié des membres représentant les professionnels de la publicité – les médias, les agences et les annonceurs – et des associatifs dits non professionnels représentant la société civile même si, en réalité, nous sommes tous des professionnels et des citoyens. Historiquement, étaient représentées des associations de consommateurs et des associations environnementales mais, depuis 2015, le CPP a intégré une association sociétale : le Laboratoire de l’Egalité. Notre objectif est de travailler ensemble et de réussir par le dialogue à délivrer des Avis sur certaines Recommandations existantes de l’ARPP qui seraient à modifier ou à créer. Ces règles déontologiques portent sur un champ spécifique de la publicité : développement durable, comportements alimentaires, cosmétiques… Comme le CPP est un organisme où chacun représente la défense d’intérêts différents par définition, nous essayons de trouver des zones de consensus acceptables par tous, d’où le fait que notre idéal pourrait être représenté par un phare qui éclaire dans le lointain.

Qu’entendez-vous par là ?

Entretien_Pdt_CPP2Nous essayons d’avancer vers ce phare en évitant les écueils rocheux qui, parfois, sont d’ordre juridique et parfois d’ordre sociétal (la société n’étant pas prête à tout entendre) ou peuvent découler du fait que les intérêts en jeu pour l’un des organismes au sein du CPP sont trop importants par rapport à la problématique. Donc, nous essayons d’avancer et au fur et à mesure que l’on se rapproche on voit que l’on peut aller encore un peu plus loin. C’est pourquoi, en huit ans, nous sommes revenus sur certaines règles déontologiques que nous avions déjà examinées telles les Recommandations « Développement durable »,« Produits cosmétiques », « Comportements alimentaires »…, pour franchir une étape supplémentaire.

En 2015, le CPP a été mobilisé sur la revue de direction des règles qui se poursuit en 2016. En quoi ce travail était-il particulièrement intéressant ?

Avant de vous donner mon avis du point de vue du CPP, je vais vous le donner de mon point de vue d’enseignant en communication. Si je dis à mes élèves qu’il existe un recueil des Recommandations, qu’ils l’ouvrent au hasard et qu’ils tombent sur une règle désuète, obsolète ou qui n’utilise plus les mots qui conviennent aujourd’hui (c’était par exemple le cas de la Recommandation sur le travail à domicile), ils me disent : « C’est quoi ce vieux machin ? ». Donc c’était très important que l’ARPP dans son ensemble, avec l’aide des Instances puisse réfléchir à ce « nettoyage » qui peut, dans certains cas conduire à la suppression d’une Recommandation, parfois à un regroupement de 2 voire 3 Recommandations ou à une envie de réécrire la Recommandation. Au CPP, nous sommes restés très libres face à cela. Dès le départ, nous ne nous sommes rien interdits et même quand l’ARPP a commencé à nous dire : « Cette règle-là, il faudrait la supprimer, cette autre, il faudrait la conserver en l’état », on les a vraiment relues et une ou deux fois nous avons exprimé des attentes spécifiques sur la rédaction de la règle. Par exemple pour la Recommandation Etude de marché et d’opinion, sans modifier le fond, il fallait vraiment l’actualiser et nous avons exposé nos attentes en ce sens qui seront reprises dans l’Avis dédié à ces travaux.

Qu’attendez-vous de ce travail ?

J’espère qu’au résultat, on aura un regroupement des Recommandations qui sera adapté au travail des uns et des autres et qui pourra être lisible par les associations car parfois elles utilisent un langage que les publicitaires maîtrisent bien mais que le public ne maîtrise pas forcément. Nous avons proposé plusieurs fois des réécritures sur certains passages qui ne nous paraissaient pas assez clairs.

Le CPP a publié trois avis en 2015 dont deux en avril dernier, l’un sur la mise à jour de la Recommandation Alcool,l’autre sur le sous-titrage des publicités audiovisuelle. Que retenez-vous de chacun de ses avis et de la façon dont s’est passé le travail qui a amené à leur création et publication ?

Concernant le sous-titrage, jamais je n’avais imaginé qu’il y avait un problème et si on m’avait dit «  Il faut absolument sous-titrer les publicités », mon premier réflexe aurait été de répondre : « Mais pourquoi donc ? » En écoutant un représentant d’une association de malentendants j’ai mesuré quel pouvait être le sentiment d’exclusion ressenti par une personne qui regarde un programme sous-titré et qui, au moment de la publicité, ne voit plus de sous-titrage et ne peut comprendre ce qu’il voit. Cette situation la renvoie à son handicap de façon assez spectaculaire et dans une violence extrême que je n’avais pas du tout envisagée. C’est pourquoi j’ai été volontaire pour porter ce sujet et le groupe de travail est allé assez vite car il n’y a plus de problèmes techniques à sous-titrer la publicité audiovisuelle et quasi pas de surcoût financier rapporté au coût d’un spot. S’agissant de l’actualisation de la Recommandation Alcool, pour moi, c’était vraiment un travail moindre dans la mesure où il n’y avait aucun frein de personne pour la mettre en conformité avec des engagements pris sur deux points , au niveau international permettant d’aller plus loin, entre autres sur la publicité des mélanges de produits alcools et de produits sucrés et l’engagement fort des professionnels de ne pas communiquer dans des médias dont il est raisonnable de penser que l’audience n’est pas composée de 70 % d’adultes de 18 ans et plus. Le sujet de la publicité et l’alcool est hyper verrouillé par la loi française qui empêche d’avoir une vraie réflexion. Lors des auditions, on a quand même entendu quelques personnes exposer l’idée que faire des amalgames entre les alcools les plus forts et ceux à la teneur plus faible pouvait créer des soucis. Mais, aujourd’hui, dans le cadre législatif, c’est impossible de revenir sur ces sujets-là.

Le troisième Avis, publié en octobre concerne la Recommandation Développement durable, dans laquelle le CPP a considéré qu’il n’y avait rien à changer…

Le CPP avait décidé de lui-même de revenir sur cette Recommandation, la première sur laquelle il avait eu à se pencher, car nous avions estimé que peut-être un certain nombre de choses avait changé. Notre feuille de route a été tout d’abord de rencontrer des représentants des associations environnementales qui pouvaient avoir un regard sur l’application de cette Recommandation, d’en prendre un peu l’écoute puis de regarder si cette Recommandation ne pouvait pas avoir un effet pervers.

Par rapport à qui ?

Par rapport à des entreprises, des marques qui auraient développé des produits en faisant d’énormes investissements pour être « moins sales », « plus propres ». Nous souhaitions voir si elles pouvaient communiquer sur le travail qu’elles avaient réalisé pour le valoriser. Cet avis a pris beaucoup de temps car nous avons voulu mener le plus d’auditions possible. Un grand nombre de personnes ont été d’accord pour dire que finalement cette règle avait permis de faire disparaître un certain nombre d’excès très rapidement et que si le « greenwashing » n’avait pas été totalement éliminé, il était à un niveau très bas. Beaucoup des personnes auditionnées ont également émis la crainte que si l’on touchait à cette Recommandation, cela pourrait avoir un effet pervers qui déstabiliserait cet équilibre qui avait été si difficile à mettre en place. Ils pensaient qu’il fallait garder la règle et être très vigilants sur son application à travers les bilans annuels…
De plus, en prenant le temps de travailler cette règle avec certains annonceurs et agences, nous nous sommes aperçus que si une marque voulait vraiment mettre en avant son travail, la règle ne l’empêchait pas de le faire, pour peu qu’elle prouve les points auxquels elle se référait. Il n’existait pas, pour une marque, d’impossibilité de communiquer sur l’amélioration de ses produits, de son processus de fabrication, … A l’unanimité du groupe de travail, le CPP a donc proposé que :

  • Cette règle reste identique ;
  • Des actions de communication ou de formation soient mises en place afin que, dans les agences de communication, les jeunes publicitaires soient formés à cette règle ;
  • Nous restions vigilants, si bien que le CPP ne s’interdit pas, par exemple dans deux ou trois ans, de regarder de nouveau cette règle au vu de ce qui se sera passé en termes de publicités dans la société.

Je trouve cet avis très symptomatique du travail du CPP. Nous avons présenté cet avis en plénière, il a été très discuté, tout le monde s’est exprimé et, finalement, après avoir été au bout de notre travail, nous avons voté de ne pas changer la règle car nous nous sommes rendus compte qu’il y avait plus de vertus dans l’application de cette règle que d’inconvénients pénalisant soit disant les uns ou les autres. Sur le plan de la démarche intellectuelle, nous ne nous sommes pas laissé piéger à vouloir changer un petit quelque chose car on avait travaillé 11 mois !

Quels sont les prochains dossiers du CPP ?

La revue des Recommandation qui se poursuit sur 2016 va occuper une partie de notre travail, sachant que certaines Recommandations ne nous prendront pas beaucoup de temps et d’autres beaucoup plus. Il y a au programme : l’Image de la personne humaine, le travail à domicile, les aliments pour animaux, la sécurité, le traitement de l’eau… Ce travail qui est l’aboutissement de la Revue de direction des règles prend aujourd’hui tout le temps des groupes de travail car à peine avons-nous fini d’analyser une Recommandation que nous passons à la suivante. Donc, nous avons pris la décision de ne pas rouvrir de groupe tant que cette mise à jour des règles existantes ne sera pas terminée.

Quels messages souhaiteriez-vous faire passer auprès des différents interlocuteurs du CPP ?

J’ai tout d’abord à faire passer un grand remerciement vis-à-vis de tous les experts que nous sollicitons pour les auditions, parce que souvent ces gens viennent dans une forme d’anonymat, puisque nous ne citons pas les gens que nous avons auditionnés. Ils nous donnent une heure, deux heures, trois heures de leur temps – et je ne compte pas les déplacements ! – ils nous font partager une expertise qui est souvent remarquable, pointue, basée sur de l’expérience et nous apportent véritablement la matière de réflexion qui nous manque parfois, car nous ne sommes pas des experts de tous les sujets.

Et vis-à-vis de l’ARPP et des autres Instances associées ?

Vis-à-vis de l’ARPP et des autres instances associées, je souhaite comme eux-mêmes, il me semble, qu’il y ait une amélioration de la communication entre les instances, du partage d’expérience car nous travaillons tous pour un même but : l’amélioration qualitative de la publicité et de sa réception par la société, ce qui ne peut bien se faire que si l’on travaille ensemble. C’est pourquoi, chaque fois que nous préparons un avis, nous devons avoir en tête qu’il doit être cohérent avec les grandes questions éthiques, mais aussi avec les juristes qui vont devoir au sein de l’ARPP le mettre en règle et le Jury qui aura également à appliquer la Recommandation une fois rédigée ou mise à jour par les professionnels suite à nos avis. Ce n’est pas juste une lubie, l’avis s’inscrit dans un travail collectif, dont le Président de l’ARPP serait le manager général.

Et quel message voulez-vous délivrer vis-à-vis des Pouvoirs publics ?

Le CPP est depuis le début l’instance associée qui est la plus mise en avant vis-à-vis des Pouvoirs publics. Dominique Wolton (Président du Conseil de l’Ethique Publicitaire) me faisait remarquer dernièrement que le CPP est l’instance la plus politique. Dans une commission éthique, on vient parce qu’on a des compétences et parce qu’on a été choisis, cooptés, etc. Au CPP, nous sommes des représentants de plein d’endroits différents et c’est une évidence que c’est plus politique. Notre responsabilité est aussi plus forte car nous ne sommes pas uniquement regardés par les professionnels de la publicité ou des experts amateurs de publicité. Nous sommes regardés par tout le monde, avec un bémol : trop de gens encore ne savent pas que nous existons. Mais il est important que les Pouvoirs publics continuent à prêter attention à nos travaux et que nous, nous nous tournions vers eux de façon régulière, car il faut qu’ils suivent le travail qui est fait. Il est nécessaire que des organismes comme le CNC (Conseil National de la Consommation) continue – et c’est le cas jusqu’à maintenant – à nous auditionner régulièrement de façon à bien mesurer les sujets que nous abordons et nos façons de travailler et à faire que nous ayons une belle ouverture vers la société. En 2015, comme je le disais précédemment, une représentante du Laboratoire de l’Egalité a rejoint le Conseil Paritaire de la Publicité. Le fait qu’une association sociétale ait un siège au CPP est un enrichissement. Il serait intéressant de faire rentrer une autre association sociale aux côtés des associations de consommateurs et environnementales.

Paris, le 31 mai 2016