5ÈME BILAN D'APPLICATION DE LA RECOMMANDATION ARPP "COMPORTEMENTS ALIMENTAIRES"

Le Président du CPP témoigne

Tribunes du CPP

Michel Bonnet,
Président du CPP

Le Président du CPP a participé en tant qu’expert au Bilan de l’ARPP sur l’application de la Recommandation “Comportements alimentaires”. Découvrez son témoignage publié dans ce Bilan.

Quelques préambules …

Un bilan sectoriel comme celui que vous tenez en main est un outil capital pour l’autorégulation professionnelle de la publicité et un tel outil il faut prendre le temps de le lire, de l’analyser pour en tirer toute sa substance c’est-à-dire les éléments qui vont servir à améliorer cette régulation pour les années à venir…

Tout d’abord, un manquement est avant tout un échec puisque c’est une règle déontologique qui n’a pas été – ou mal – appliquée. Il est donc normal à chaque fois de se demander pourquoi ce manquement. Est-ce par que la règle n’était pas connue, mal connue ou mal comprise ? Est-ce parce que la marque, l’annonceur, le communicant, le média a mal estimé la situation, le contexte, l’application de la règle ? Dans tous les cas, dans le cadre de ce bilan, l’objectif est avant tout de pointer du doigt le manquement et de faire de la pédagogie. C’est cela qui fait avancer la profession…

Enfin, le bilan doit être crédible c’est-à-dire qu’il doit regarder suffisamment large pour prendre dans ses filets un échantillon substantiel de publicités, dans le temps et l’espace. A ce titre, il convient de saluer le fait que maintenant le périmètre intègre les réseaux sociaux. La publicité sur Internet doit suivre le même chemin que la radio, la télévision ou les médias papier ! Ce n’est pas encore compris par tout le monde mais cela commence à venir… Comme on dit, Paris ne s’est pas fait en un jour !

Jamais rien n’est acquis !

On peut parfois se laisser endormir par des apparences positives. Oui, c’est bien vrai que les slogans ont porté leurs fruits – et c’est bien le cas de le dire – car chaque jeune Français sait qu’il faut manger des fruits et des légumes, qu’il faut avoir une activité physique, qu’il faut faire attention au sel et au sucre… Et, de toute évidence, il faut oser le dire, la publicité a participé à faire bouger les comportements, à éduquer – même si ce n’est pas son rôle principal – et a agi de concert avec les autorités sanitaires du pays dans la prévention. C’est un fait !

Mais, cela n’est valable qu’à un instant t. En effet, il faut être capable de s’interroger en permanence sur les messages délivrés, sur les contenus des publicités pour que ce qui a été positif un jour demeure un point fort. Or, force est de constater que tout est fragile… Il faut rester vigilant !

Où sont les écrans ?

Mais ils sont partout ! Et c’est bien une des questions qui se pose. Il y a quelques années, la télévision était l’écran principal et il avait été décidé qu’il ne fallait pas montrer dans les messages publicitaires une personne consommant des aliments devant son écran. Il ne fallait ni grignoter ni prendre un repas devant un écran. C’était une action très pédagogique et elle fut globalement très respectée car admise fondamentalement par tous…

Mais les écrans se sont multipliés et il se pose une question chez certains : ne serait-il pas bon d’être plus souple sur les écrans… Une tablette ne serait-elle pas autre chose qu’un écran ? Ne faudrait-il pas assouplir notre regard ? Et c’est là où il faut tenir bon. Pas parce que nous serions des « anti-écrans », anti progrès ou toute autre animal préhistorique mais bien parce que le but est une action de Santé publique. On sait que notre société banalise le fait de manger devant un écran il n’en demeure pas moins que les autorités sanitaires confirment qu’il faut résister à ce comportement. La règle est précise, toutes les chartes signées vont dans ce sens-là et nous continuerons à pointer du doigt les dysfonctionnements et manquements dans ce domaine même s’il s’agit d’une « simple » tablette ! On ne mange pas devant un écran un point c’est tout !

Les excès sont-ils toujours excessifs ?

La notion d’excès est toujours aussi délicate à manipuler et la modération une notion peu précise. Certains tentent d’utiliser cela pour mettre en place des images de consommation excessive mais ce n’est juste pas admissible dans notre société… Cela signifie qu’il ne s’agit pas simplement d’une erreur vis-à-vis de la règle mais tout simplement d’une erreur d’appréciation vis-à-vis du consommateur qui ne veut plus voir ce type de publicité.

On ne peut pas et on ne doit pas évoquer l’humour ou le second degré car les cibles de ces publicités sont souvent des publics pour qui ces notions ne sont pas toujours si simples à comprendre – jeunesse en particulier ou personne atteinte de dérèglement du comportement alimentaire – et à appréhender. Il convient donc de continuer à se battre pour expliquer partout dans le métier que les excès sont à proscrire…

Gaspillage ?

Dans un monde habité par des milliards d’êtres humains qui ont de plus en plus de difficultés à s’alimenter normalement et de façon équilibrée il devient juste insupportable de voir du gaspillage. Ce n’est pas la publicité qui serait seule responsable des tonnes d’aliments jetés chaque année… Mais elle doit éviter de participer à cela en montrant des situations qui inévitablement se termineraient par du gaspillage… La modération doit donc se retrouver aussi sur la taille des produits, des emballages et des situations de repas… Là encore il y va autant de la crédibilité de la publicité et donc de l’annonceur que du simple respect stricte de la charte, des règles, de la loi…

Saint Valentin de tous les excès ?

Je voudrais revenir sur certains excès publicitaires liés à la Saint Valentin de février 2017.

On sait bien que les annonceurs et publicitaires utilisent le calendrier des différentes fêtes – il y a tellement de fêtes particulières chaque jour que le choix est immense – pour mettre en avant certains produits… et parfois, deux évènements peuvent se percuter comme un grand match de football et la fête des amoureux.

Qui dit football, dit le « traditionnel » pizzas-bières ! En termes de communication publicitaire, reconnaissons dès le départ que les choses sont délicates puisque l’on parle directement de nourriture devant un écran et d’alcool ! Nous ne pouvons pas faire autrement que de classer en manquements toutes ces publicités qui proposent des pizzas à manger en regardant le match à la télévision ! Et que dire du publicitaire qui va laisser les bières apparentes ? On est bien là dans l’inadmissible et on peut s’étonner que ce soit arrivé… tellement l’erreur est de taille !

Là encore, deux remarques sont à faire. Tout d’abord rappeler que les consommateurs – et qui sont aussi des citoyens – perçoivent cela avec un certain recul: tous les consommateurs ne sont pas des amateurs de football, certains ne voit pas d’un bon œil ces publicités qui ont déformé la fête des amoureux et parfois on est presque sur la route d’un sexisme provocateur… Chacun appréciera la question mais il n’est pas certain que ce soit bon pour l’annonceur…

Mais le deuxième point est plus délicat et il semble important de l’aborder…

Publicité, oui, mais c’était sur les réseaux sociaux!

On sent bien que certaines marques s’interdisent des excès sur les médias traditionnels mais que sur les réseaux sociaux les barrières sont moins visibles, moins nettes…

Chers annonceurs et publicitaires, attention, ne vous faites pas d’illusion : si aujourd’hui, un grand nombre de jeunes internautes – et moins jeunes aussi – souhaitent bloquer les publicités c’est aussi parce qu’ils ne veulent pas de ces publicités excessives et débridées. Oui, ils peuvent en rire un peu mais très vite ils comprennent bien que cela ne tient pas la route… L’internaute est un être qui se veut libre, qui veut décider lui-même de son chemin voire de son destin, qui ne veut pas être méprisé et traité comme un simple cerveau à conquérir ou prendre…

Alors, les professionnels de la publicité doivent comprendre que les manquements relevés dans ce domaine doivent servir d’exemple pour changer de comportement : sur Internet, ne mettons que des publicités que l’on pourrait mettre ailleurs, à la télévision en particulier !

Et tout cela pourquoi, pour qui ?

La publicité, je le répète, n’a pas vocation à dire ce qui est bien, à éduquer seule les citoyens, à devenir le bras armé des acteurs de la Santé publique… mais il a été décidé depuis longtemps que les professionnels de la publicité participeraient à l’action sanitaire publique, serait acteur aux côtés des autres, seraient exemplaires, tout simplement…

Tout manquement, d’un seul acteur, même s’il s’agissait du plus petit et du moins connu, engage tous les acteurs et l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). Un seul manquement et on perd de la crédibilité et c’est pour cela qu’il est important de s’interroger, de tirer les leçons d’un tel bilan !

Mais nous ne sommes pas les seuls à devoir agir !

Dans le cadre des comportements alimentaires, il y a un point capital à développer, c’est l’éducation. Or l’éducation commence avec les parents, se prolonge avec l’école et les formations professionnelles, prend des forces dans le monde sportif et associatif… c’est un tout, la publicité n’est pas seule !

Allons plus loin… Imaginons un enfant qui au petit déjeuner verrait ses parents ne pas manger, un de ses frères se contenter d’une boisson gazeuse sucrée, qui à l’école verrait un de ses enseignants fumer en cachette durant la récréation et boire un café vite fait avec trois sucres, qui à la cantine choisirait les frites et qui à la maison retrouverait le soir son grand frère en train de goûter devant la télévision… Heureusement, au moment où il arrive, c’est la publicité et là, tout va pour le mieux, le goûter est équilibré et raisonnable, il suit une petite séance de plein air et il ne se prend pas devant la télévision…

Non, il n’y a pas grand-chose d’excessif dans le tableau et on voit bien que tout ne peut être fait qu’ensemble avec l’action combinée de tous les acteurs… La publicité ne peut pas porter le poids de tout, elle n’est qu’une actrice avec les autres !

Il serait donc important que chacun prenne ses responsabilités. La publicité n’est pas là pour dire à chacun ce qu’il doit faire mais seule elle ne fera pas grand-chose… certes, elle a signé des chartes, elle a créé ses règles et son dispositif de régulation et elle fait son bilan annuel et ose montrer devant tous ses manquements… mais cela ne suffira pas !

Un bon bilan malgré tout ?

Oui, je vois bien que chacun voudrait que l’on conclue de façon sèche et précise. Certains veulent chanter : c’est bon ! Et ce n’est pas entièrement faux puisque les manquements ne sont trop nombreux, que les règles sont globalement respectées, que le Jury de la déontologie publicitaire (JDP) n’est pas submergé par des plaintes dans ce domaine.

D’autres voudraient crier au loup et pourfendre les publicitaires qui feraient n’importe quoi. Les manquements existent bien, et l’équilibre est fragile, et certaines grandes marques dérapent, et la perfection n’est pas encore de ce monde …

Consultez le 5ème bilan d’application de la Recommandation ARPP « Comportements alimentaires »

Paris, le 17 octobre 2017